23/02/2010

CRUAUTÉS ORDINAIRES x 3


Deux masses informes font leur entrée. 
Le mari : casquette marine vissée sur le bourrichon, bougon, 
pas un mot.
La femme : épaisse doudoune rouge matelassée, renfrognée, 
quelques vacheries. 
Le tout paraît avoir été gonflé à l'hélium. 
Dans le silence.
Il s'installe sur un strapontin, lui laisse la place vacante collée à la vitre, sachant pertinemment que ni ses fesses, ni l'ensemble de son corps ne pourra s'incruster dans cet espace. 
Fâchée, triste, résignée, elle va s'asseoir plus loin, seule.


Il passe frénétiquement ses doigts derrières les verres de ses lunettes. Léger craquement des montures. 
Frotte comme un fou pour effacer les traces de fatigue et de tristesse sous les yeux. 
Le corps imprime trop aisément les sentiments. 
Traitrise. 
Il ne fait plus la différence entre ses rêves et son quotidien. Il a trop rapidement et à ses dépends investi dans les chimères bon marché. 
Solderie des utopies. 


Me demande une pièce - en toute honnêteté, elle n'y est pas : ni dans les poches, ni dans le sac, ni dans le porte-monnaie, nulle part, pas d'espèce, jamais - me regarde de plus près de sortes que nos haleines se confondent. 
Déçu de n'avoir pu taxer ma ferraille c'est d'infâme égoïste qu'il me taxe. 
Après avoir parcouru le wagon, s'être entendu répéter "non" à cinq reprises et avoir essuyé des refus silencieux, tout cela - oh le bougre ! - oui tout cela ! - sans broncher, il revient vers moi. 
Ferme les yeux un instant. Il est là, tout prêt, toujours là et fait de la misère une présence, une tente de camping accroché au trottoir. 
Mords la lèvre. Ne peux rien faire. 


Photographies : Cécilia Jauniau

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