03/06/2010

L'ALLIANCE, TEXTE DE CHRISTOPHE SANCHEZ (DIT ARF), VASES COMMUNICANTS

Il m’a fallu plus d’un an après mon divorce pour que je m’en débarrasse, pour qu’elle ne me serre plus l’annulaire gauche, ne trompe plus l’œil, le mien, celui des autres et plus particulièrement celui de mes prétendantes qui me croyaient toujours marié. Mais cette alliance, un anneau fin et doré du plus bel effet, même si j’ai fini par ne plus l'afficher, je l’ai gardée près de moi sans vraiment savoir qu’en faire. Depuis qu’à l’aide d’un demi-litre de savon noir elle a glissé de mon doigt, elle rode autour de moi comme un rappel sournois d’une époque fortunée. Un objet aussi lourd de sens, même si celui-ci a perdu de son poids sous la pression de la séparation, ne se jette pas d’un coup de tête. Hormis la valeur financière de l’objet, or pur poinçonné qui prouve son précieux, il faut bien considérer que ce symbole a scellé en son temps une union amoureuse devant l’éternel. Une éternité certes abrégée mais qui s’est prononcée sincèrement devant Dieu et incidemment devant un représentant local de l’Etat donc de la société, c’est à dire, vous ! Alors, lorsque de ma main encore baignée de savon, je l’ai vue s’échapper et se réfugier dans le lavabo, tout prés de la bonde, je l’ai trouvée stupide, perdue qu’elle était dans sa cuvette blanche, entre une trace de dentifrice et un poil de barbe. Mais touché par sa nouvelle condition, je ne l’ai pas laissée caboter autour du trou ne voulant pas courir le risque de la voir disparaître dans les canalisations et rejoindre les égouts puants. Je l’ai sauvée de cet abîme, en le pressant entre deux ongles pour éviter qu’elle ne m’échappe, puis l’ai rangée dans le premier tiroir du petit meuble blanc de la salle de bains, entre les cotons-tiges et une boîte de préservatifs. Elle est restée longtemps planquée dans ce tiroir sans vraiment se faire oublier. Elle a même laissé sur mon doigt une trace blanche en forme de petite couronne clonée semblable à une ombre en négatif qui me rappelait sans cesse son existence cachée. Cette marque que j’ai crue longtemps indélébile s’est évanouie l’été suivant à la faveur d’un bronzage réussi sans toutefois faire disparaître de mon esprit l’anneau sauvé des eaux. Et à chaque ouverture de tiroir, pour un nettoyage en règle de mes oreilles ou pour me protéger de toute grossesse ou maladie inopinée, elle me faisait un clin d’œil, un scintillement doré qui perçait chaque fois l’opercule du souvenir. Il en est allé ainsi jusqu’au déménagement. Changement de maison, meubles remisés, cartons scotchés et valises bouclées, la salle de bains est toujours la dernière pièce à être débarrassée. Ce n’est donc que le jour du départ après une dernière ablution que j’ai vidé le petit meuble blanc et naturellement, rangé l’alliance dans la trousse de toilettes, avec ses deux complices de tiroir. Dans le nouvel appartement, point de meuble ad hoc, pas plus que de casier intime et j’ai à nouveau été embarrassé par cet objet incongru, témoin d’un temps révolu mais résolu à ne pas disparaître de ma vie. J’ai cherché un autre emplacement, une nouvelle alvéole discrète où je pourrais conserver intacte l’histoire qu’elle remémore et m’adonner quand bon semble à une ouverture mélancolique sur le passé. C’est ainsi qu’elle a sauté sans transition dans la corbeille du vestibule, entre clés inutiles, cartes postales oubliées, tracts publicitaires et coques jaunes des kinder-surprises de mes enfants. Joyeux cocktail bigarré dans lequel elle a perdu peu à peu sa raison, se confondant avec les bagues fantaisies en plastiques et les anneaux en toc des porte-clefs. J’ai fini un jour par l’inclure dans cette armada anonyme, lui conférant une place modeste, l’oubliant dans la multitude des choses qui croupissent sans qu’on y prête attention. De temps à autre, grâce à un rayon de soleil fuyant de la porte d’entrée, elle perce encore ma rétine pour me rappeler que dans son creux, est gravée pour toujours, comme nous le faisions enfants sur les platanes centenaires, la mention d’un amour célébré : C.A. pour C.S. 01/06/96.


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Vendredi 4 juin, premier vendredi du mois : il s’agit d’échanger, d’accueillir et d’être hébergé en retour, de laisser un instant le refuge scriptural communiquer avec un autre espace.

Un projet où s’entrecroisent les mots, à l’initiative du Tiers Livre (François Bon) et de Scriptopolis (Jérôme Denis) qui reprend le titre programme d’André Breton, Vases communicants.
L’idée est simple et définie ici : « le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. »

Je suis très contente d'accueillir à cette occasion Christophe Sanchez dit ARF auteur du blog Fut-il ou versa t'il dans la facilité sur lequel il ne verse à mon sens jamais, très ironiquement et brillamment, ni dans la futilité, ni dans la versatilité et encore moins dans la facilité. Nul besoin de mes mots pour le prouver son texte le confirme ici.

Merci également à Brigitte Célérier (auteur du blog intitulé Paumée) pour son travail de recension et de veille permanente sur internet. Voici la liste des autres participants aux vases communicants du mois de juin qu'elle a pu relevés.


Christine Jeanney http://tentatives.eklablog.fr/ et Jean-Yves Fick http://jeanyvesfick.wordpress.com/

Tiers livre
http://www.tierslivre.net/ et Dominique Pifarely http://pifarely.net/wordpress

Joachim Séné
http://www.joachimsene.fr/txt/ et Urbain, trop urbain http://www.urbain-trop-urbain.fr/

Morgan Riet http://cheminsbattus.spaces.live.com/ et Murièle Laborde Modély http://l-oeil-bande.blogspot.com/

France Burghelle Rey
http://france.burghellerey.over-blog.com/ et Denis Heudré http://dheudre.over-blog.com/

Florence Noël
http://pantarei.hautetfort.com/ et Anthony Poiraudeau http://futilesetgraves.blogspot.com/
Maryse Hache http://semenoir.typepad.fr/semenoir/ et Pierre Ménard http://www.liminaire.fr/

Louis Imbert
http://www.samecigarettes.wordpress.com/ et Arnaud Maïsetti http://www.arnaudmaisetti.net/spip

Jeanne
http://chezjeanne.free.fr/ et Jean Prod'hom http://www.lesmarges.net/

Michel Brosseau
http://www.àchatperché.net/ et Brigitte Célérier http://brigetoun.blogspot.com/

12 commentaires :

  1. Très beau texte...
    et est-ce volontaire ce fil ténu entre vos 2 textes avec cette alliance ?...
    si ce n'est pas le cas, du coup cette coïncidence donne une lueur particulière à vos textes respectifs...
    j'aime bien

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  2. L'endroit qu'on lui trouve n'est pas un hasard : un tiroir utilisé fréquemment dans une salle de bain, puis une corbeille des objets dits inutiles mais que l'on garde pour d'obscures raisons -pas forcément si obscures que cela, d'ailleurs- mais qui sont les petits vestiges d'un passé pas si passé que ça... J'ai longtemps regardé mon doigt, devenu presque inutile, j'ai longtemps observé cette marque blanche. L'alliance, elle, était déjà rangée, "cachée" dans le boitier qui renfermait la montre que mon ex m'avait offerte. La marque blanche sur le doigt porteur suffisait: et quand elle disparut, je crois bien que j'en fus plus ému qu'en enlevant l'anneau. Et puis, finalement, j'ai compris petit à petit, le bout de métal est redevenu ce qu'il a toujours été, un simple objet, et il me suffit de regarder ma fille pour comprendre que celle alliance ne sera jamais rompue...

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  3. premier texte lu dans la nuit - m'a fait désirer de lire les vases, et craindre, un peu, de ne pas retrouver pareil plaisir

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  4. Ah Ouai !!! :)
    ça c'est pas du toc !
    On sent l'amour, la peine, le recul, l'accroche, l'emprise, l'empreinte...
    J'aime beaucoup...
    Comme Mu LM, il y a cette alliance qui réunit vos deux textes et qui rend le vase communicant...

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  5. Quand on suit le fil d'un objet symbolique on surfile du même fil une vie qui s'est construite en partie en fonction de ce symbole. l'idée est belle et le texte se lit d'un trait.

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  6. Voilà donc ce qu'il adviendrait de mon alliance si - par malheur - elle devait quitter mon doigt ? Elle irait rejoindre une bague de fiançailles - vestige d'une vieille histoire inaboutie - l'alliance parentale, et quelques anneaux orphelins de leurs pierres. Joli vase Arf.

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  7. Mu > Et bien non, tu l'as découvert sur fb, c'est tout à fait fortuit et en même temps, ça donne du sens à cet échange. Merci.

    Stéphane > Tu as raison, c'est certainement pas le fruit du hasard mais, en même temps, on sent bien que l'objet est gênant et à la fois indispensable pour le souvenir. Trouver sa juste place n'est pas chose facile. Là où je te rejoins, c'est sur les enfants bien entendu qui sont le meilleur témoignage d'amour que nous gardons.

    Brigetoun > Et bien, j'ai trouvé plein de beaux textes, notamment le tien chez @brosseau que j'ai trouvé très fort, mais je te l'ai déjà écrit. Merci.

    Colombine > Bien sûr qu'il y a tout ça et je suis heureux de l'avoir vécu en conscience, et l'amour et la peine qui finalement avec le recul m'a fait évoluer vers autre chose, croiser d'autres chemins dont celui que je parcours aujourd'hui avec toi. Merci. :)

    Florence > Tout à fait, au-delà du symbole, c'est bien la conception du mariage, de la création d'un foyer, de la vie commune, des enfants, du vieillir ensemble dont il est question. Croyance et destinée qui s'effondrent un jour quant on s'aperçoit que ce n'est plus possible et que ce n'a jamais été la bonne voie. Merci.

    Frédérique > Et bien, vous êtes plus organisée que moi. J'espère qu'elle ne quittera jamais votre doigt quand même ! Merci.

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  8. Sobre et percutant. Je n'ai pas connu ce genre de chose, mais j'avoue que cette feinte désinvolture, politesse de la douleur, m'a pincé le cœur.

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  9. Oui bien sûr, comment se séparer d'un tel objet, même s'il est issu d'une histoire passée mais trop importante dans une vie pour être jamais tout à fait révolue. Très belle honnêteté.

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  10. Les souvenirs trouvent une place dans nos tiroirs... intimes, incongrus, oubliés, ouverts par inadvertance, de boite crânienne, complices ou rebelles. Celui-ci est rond et brillant, précieux.
    Encore un beau souvenir raconté à la surface :-)

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  11. Le coucou > Feinte désinvolture, c'est ça, j'aime bien le terme. Et il faut absolument qu'elle n'en sache rien.

    Anthony > Honnêteté ? C'est bien la seule chose qui doit exister après, avec le respect peut-être.

    Encre > Oui, la meilleure place est encore la boîte crânienne.

    Merci à vous tous pour vos commentaires.

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  12. Je suis ravie d'avoir accueilli ce texte de toi Christophe.
    Je renouvelle publiquement, et cette fois après avoir enfin pu prendre le temps de lire les différents commentaires, les compliments que je t'avais faits en premier lieu.
    C'est un très joli texte que tu me confies là.
    J'aime beaucoup cette déclinaison d'un amour passé traduite par le biais d'un objet qui traverse, avec toute sa symbolique souvent pesante, la vie et l'espace.
    La boucle du texte se referme merveilleusement bien.
    J'apprécie tout particulièrement ton humour et la vivacité ta plume qui n'hésite pas à trimballer l'objet dans les endroits les plus triviaux, subtile façon de dire l'amour qui n'est plus.

    Comme le soulignaient Mu LM et Colombine nos textes vases communiquent de façon très concrète grâce à la présence de cette alliance. C'est en effet un cadeau du hasard mais je crois que rien n'est ici strictement ésotérique ou hasardeux. L'échange fait sens et j'apprécie cette "coïncidence".
    Merci encore.
    AcC

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