01/02/2009

COCHONS D'ESPRITS ANIMAUX

Tout est bien sûr question d’équilibre ; entre passion et obligation, désir et nostalgie, régression et progression, souffrances enfouies et satisfactions passagères. Mon organisme est bien éduqué. Ce coché cravache habilement les « esprits animaux » qu’il a embauchés pour que chaque partie de mon corps fonctionne. Il sait me préserver de l’influence de ma conscience aliénée, se réguler indépendamment afin que je continue de soupirer, lambiner, maugréer, grogner et rendre à tous les choses plus difficiles à supporter. Il ne m’a encore jamais véritablement trahi et parvient à prendre le dessus sur mon caractère quinteux. Comment puis-je héberger un système si bien rodé alors que mon âme cancéreuse est atteinte des maux les plus divers ?
Si j’admire l’harmonie qui règne au sein de mon corps, la régularité de mon quotidien m’effraie et me consterne. Mon réveille sonne cinq jours par semaine à 6h45. Je descends le sentier qui me mène à la gare. Les voitures y respectent poliment le stationnement alterné et se balancent en temps voulu d’un coté ou de l’autre de la rue. Le train de 7h58 me charrie au bureau. J’arrive entre 9h et 9h15, allume mon ordinateur, consulte mes mails, écoute mes messages. Entre 9h30 et 9h45 j’ai pris l’habitude de boire un petit café serré que je suspecte toujours d’avoir été contaminé par un quelconque détergent servant à dégripper les rouages de la machine. Une foule d’employés mal fagotés s’est affairée autour du divin appareil pour en recueillir le fluide tonifiant. Je m’oblige à travailler un peu, ce qui a pour signification : cinq mails, trois coups de fil, un communiqué, un jeu d’esprit vulgaire. A 11h56 A. déclare qu’elle a faim. A 11h57 V. réplique : «On va manger où ? ». A 11h57 et 26 secondes je me lance et énumère les possibilités qui s’offrent à nous. A 11h58 personne n’a encore pris de décision. Je tire de ce moment de doute passager un vif sentiment de satisfaction. Je savoure l’inattendu et me délecte des surprises que réserve pour moi le destin. A 12h05 nous sortons du bureau et dissolvons l’état de plaisir ponctuel décrit supra. Je dévore un plat sans saveur que je ne digérerai pas avant de dîner. A 13h nous ne sommes toujours pas rentrées. Nous nous promenons dans le centre de consommation refait, propre, neuf et qui malgré tous ces efforts, que je tiens néanmoins à saluer ici, a tout l’air d’une vaste salle de réanimation stérilisée et délabrée. A 14h nous retournons au labeur. Hésitation : qui de nous trois sera prompte à dégainer son trousseau de clés en premier ? Je savoure cet instant et sort donc rarement la fameuse clé, rallume mon ordinateur, consulte nerveusement mes mails, n’écoute pas mes messages puisque je n’en ai pas, constate que je brasse beaucoup de vent pour peu de résultats. De 14h à 18h le temps s’étire invariablement et me paraît parfois trop long. Je travaille avec plus de difficultés et me laisse séduire par toutes les formes de distractions extérieures. Je m’évade entre 18h et 20h. La suite a rarement de sens. Je jouis sans mesure de cette liberté retrouvée tel un chimpanzé ivre qu’on déplace de sa cage dans la savane. Je ne respecte aucune règle et lance un défis aux esclaves qui travaillent d’arrache-pied entre et dans mes organes. Ces fumiers réparent tout sans se soucier de l’impact et de la valeur morale de leur geste. Tout comme Karl Adolf Eichmann ils n’ont d’égards que pour l’action technique obéissant aveuglement et sans discernement au maître corporel. C’est ainsi que je me porte toujours plus ou moins bien et continue d’engendrer le mal du quotidien autour de moi.

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