09/08/2013

NU, C'EST NU

Nu, c’est effrayant, le corps pris dans son plus simple appareil, victime du "tout apparent", expression la plus étayée de sa fragilité essentielle. 

Nu, c’est sans truquages, ni défense. 

Nu, c’est faire avec l’existence qui se découvre dans des vagues contingentes.

Nu, c’est humiliant d’humilité. 

Nu, c’est une affaire de tons, de goûts et de circonstances. 



Quand j’étais enfant, ma famille paternelle possédait une cabine de bain, à proximité directe de la plage. Luxe qui fit ma fierté à l’heure où je compris proprement que cet "avoir-là" constituait un privilège, celui de ne pas devoir procéder au rituel de l’effeuillage littoral, abrité d’une serviette toujours trop petite ou encombrante. Du reste, quelques commodités dont celle de laisser l’attirail balnéaire à la mer : parasols, maillots de rechange, râteaux, seaux, pelles, raquettes, ustensiles de bateau, chapeaux, lunettes de soleil, crèmes solaires, palmes, serviettes, brumisateurs, bouteilles d’eau réservée au nettoyage des pieds, ballons, cerfs-volants, bouées et brassards et les choses précieuses qui restent à l’abri verrouillé, alors que nous décidions princièrement de vaquer à nos occupations de bord de mer.
Là, c’était à nous, plus qu’aux autres, parce que nous faisions partie de cette frange d’habitants temporaires. 

Dans la cabine, donc, nous nous changions avant le sable et les bains de mer. Mon père qui se fichait bien du corps, comme de l’âme et du reste, m’imposait sur un mode badin de faire cela en famille, en toute intimité, mais ensemble. Je ne crois pas que cela fut si dérangeant ou singulièrement déroutant, car j’étais très jeune, mais si l’idée de la présence de mon corps ainsi exposé à la vue d’autrui m’indisposait, c’est bien que je devais être assez âgée pour désirer déjà jouir de sa fréquentation solitaire. Je ne parvenais à m’octroyer ce privilège qu’au prix de négociations immédiatement raillées par mon père. J’étais, selon lui, bien sotte de m’embarrasser si tôt de ce genre de tracas. Peut-être.



Avant, plus loin dans le temps, là où la mémoire n’imprime pas encore les souvenirs, mais que l’on pense à soi à cause de la fiction familiale qui se déploie itérativement et à l’occasion de grands repas – chez nous inégalement festifs -, nous étions allés avec mes deux parents passer des vacances dans une ville naturiste dont je ne connais pas le nom. J’avais demandé à la supérette, pourquoi la caissière, dont la fonction n’autorisait que la vue du tronc, était recouverte d’un t-shirt, alors que le tout vacancier se trimballait volontiers à poil. Ce fut l’objet d’une plaisanterie, mais tout bien réfléchi – je trouve, d’une part, l’idée de ses vacances vulgaire -, et d’autre part il me semble que la question était bien logique, tout du moins justifiable. Pourquoi rendait-elle ainsi notre nudité incommodante ?



"Vestimentairement" parlant, je cultive le très court, mais c’est moins par désir exhibitionniste que par stratégie. J’ai supposé à l’âge adulte - celui qui autorise et permet de soutenir le regard et d’affronter les présupposés pervers ou encore malintentionnés – que pour rendre mes jambes plus élancées, étant moi-même assez courte, il me fallait plus qu’une stratégie opérationnelle, un tour de passe-passe. La mini constitue un accessoire trompeur de premier ordre et nécessité. De plus, elle ne pèse pas lourd dans la valise et n’indispose donc pas les moyens réduits qui sont le sort de mon petit gabarit. 



Nu, c’est à deux, et inégalement confortable, même après le très longtemps ou les habitudes. 

Nu, c’est à la peinture, à tous les Beaux-Arts, à la danse.

Nu, c’est très vite la première fois : se précipiter, défaire ce qui gêne le corps et l’amour, le bas puis le haut ou l’inverse, puis ce qui reste en haut puis en bas ou l’inverse également. L’ordre n’a que peu d’importance, ce qu’il faut, c’est aller vite. Passer de "l’accoutré" au dépouillement le plus total. Ne pas rester en transit, coincé dans les marges de l’érotisme, lorsque le « vêtement bâille » comme dit Barthes. 

Nu, quelle affaire. 



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Pour poursuivre, à écouter sur France Culture, dans l'émission "Pas la peine de crier" présentée par Marie Richeux parmi une semaine "nue", ces deux interviews (voir podcast ci-dessous) : celle de Roland Huesca sur l'usage de la nudité dans le spectacle vivant et également celle de Daniel Foucard, auteur de NUDISM, paru aux éditions Inculte.




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Merci à Manon Rénier de m'avoir autorisée à reprendre et diffuser ses images. Je fus frappée de les découvrir à l'occasion d'une interview parue sur IF Magazine. J'ai tout de suite senti qu'il pouvait s'agir de la gourgue d'Asque, dans les Baronnies, où j'avais moi-même choisi de faire une photo pour Dominique Hasselmann en vue d'un échange dans le cadre des vases communicants. Elle fut par ailleurs reprises par Le Journal de la Photographie un peu plus tard à l'occasion de leur trêve estivale.

Manon Rénier étudiante à l'école ETPA de toulouse dans la section Photographie a besoin d'un petit soutien financier pour poursuivre sa troisième année d'étude pour laquelle elle a été brillamment sélectionnée et afin de continuer de faire avancer son travail photographique. Cette somme lui permettra notamment d'emprunter tout le matériel nécessaire à la réalisation de ses projets, d'accéder à des studios professionnels, au labo photo, de tirer les images qu'elle souhaite et de bénéficier encore un peu plus du suivi et des conseils du photographe professionnel Pierre Barbot.
On sait combien il est difficile de mettre en place des projets artistiques en toute autonomie et tout particulièrement des travaux photographiques, c'est pourquoi je me permets de vous encourager, si ses images vous séduisent, d'apporter une contribution en échange de laquelle vous recevrez des tirages, un livre ou encore un shooting...
À voir ici sur Indiegogo


Photographie : Manon Rénier

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