Vendredi 5 juillet, premier vendredi du mois : il s’agit d’échanger, d’accueillir et d’être hébergé en retour, de laisser un instant le refuge scriptural communiquer avec un autre espace.
Un projet où s’entrecroisent les mots, à l’initiative du Tiers Livre (François Bon) et de Scriptopolis (Jérôme Denis) qui reprend le titre programme d’André Breton, Vases communicants.
L’idée est simple et définie là : « le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. »
La liste complète de l'ensemble des participants, dressée par Brigitte Célérier, est à retrouver ici : http://rendezvousdesvases.blogspot.fr
Ce mois-ci je suis très heureuse d'échanger avec Dominique Hasselmann, auteur du blog Le Tourne-à-gauche qui fait suite au Chasse-clou puis à L’Irréductible. Il m'accueille sur son blog ICI et je lui laisse dire l'invisible sur le mien. Voici le thème moteur de ce vase communicant qui a donné lieu à un échange d'images personnelles puis de textes à partir de ces deux photographies. Collectionnant pour ma part des clichés qui ne sont qu'exceptionnellement de moi sur ce blog, je le remercie de m'avoir encouragée à sortir mon appareil pour tenter de capturer l'insaisissable.
J’avais mis les mains sur mes
paupières, comme pour leur apporter une autre protection. Les lumières
intérieures clignotaient (papillons de jour), des myriades de traits, de
pointillés, de courbes, de routes en lacets de montagne se bousculaient dans ma
tête.
Pourtant, je vivais dans ce
royaume – une sorte d’équivalent de celui du Douanier Rousseau – et quand j’ouvrais mes
doigts pour regarder entre eux, j’apercevais alors la luxuriance, l’exubérance,
la floraison à foison, la nature déchaînée, le paradis retrouvé, un monde en
soi(e), un univers de couleurs, de sons, de cris d’animaux.
Cette forêt était devenue
autre : non pas qu’elle bougeât comme dans une idée shakespearienne, mais
elle semblait implantée là, depuis un temps immémorial, sans qu’aucune racine
n’affleure ici ou là, sans que l’on sache d’où elle venait ni où elle allait,
vaisseau fantôme déposé sur la grève verticale, barque ou arche sans doute
perdue corps et biens et qui s’était transformée ou refabriquée en chênes,
frênes, bouleaux mais tous recouverts de mousses, lichens et fougères.
La dissimulation de leurs corps
de bois semblait étrange : la nature ne serait donc plus vraiment
naturelle, mais un masque détournant l’origine de la structure, une nouvelle
peau déguisant l’ossature originelle ? L’ensevelissement de la réalité
s’étalait à perte de vue (l’horizon était bouché par le vert omniprésent dans
toutes ses déclinaisons, du sombre au clair, du violent au fragile, de
l’aveuglant à l’apaisant), le concert animalier – aras, oiseaux baroques,
singes hurleurs… – orchestrait le tableau et lui donnait son relief sonore et
aigu.
J’avais réussi à me construire
une cabane en haut d’un de ces arbres, j’y grimpais le soir par une échelle de
bambou. De là-haut, je dominais la situation même si mon regard ne pouvait
percer bien loin l’immense canopée. J’étais cependant à l’abri des bêtes
sauvages, des fourmis rouges et des serpents venimeux. De temps en temps
quelques bêtes sauvages (des sangliers ?) faisaient entendre leur galop
étourdi dans les environs.
A l’époque où je m’apprêtais à me
retirer de la civilisation, j’avais pris une photo de l’endroit où je comptais
m’installer : une fois développée dans la ville lointaine (les appareils
numériques n’existaient pas encore), je l’avais conservée dans mon
portefeuille, elle me servait de repère (le GPS n’avait pas encore été
commercialisé) au milieu de l’océan vert, ce « vieil océan » de
feuilles couvertes de rosée le matin et inclinées vers la terre le soir, pour
retrouver l’endroit que j’avais choisi – car il ressemblait à tous les autres –
et la demeure de fortune que j’avais construite, basée sur un équilibre assez
instable.
La poche de ma veste intérieure
dite « de brousse » gardait ce cliché que je trouvais toujours
énigmatique : la silhouette d’un être humain semblait en effet s’y
dissimuler et je me demandais chaque jour s’il allait enfin exposer sa
présence. Par précaution, je portais toujours avec moi, lors du moindre de mes
déplacements, un fusil de chasse approvisionné avec deux cartouches pour le
gros gibier.
La solitude devait être défendue
à tout prix.
Texte : Dominique Hasselmann
Photographie : Anne-Charlotte Chéron
Habitués désormais à l'aventure urbaine, à ne pas savoir se passer de tous les trucs indispensables de la normalité, nous sommes attirés par l'"océan vert", le contraire absolu de tout ce qu'on touche (ou pour mieux dire qu’on frôle virtuellement) au quotidien. Celle-ci pourrait être une interprétation de cette belle découverte de la solitude menaçante de la nature; de l'esprit de Robinson Crusoe, finalement impatient de rencontrer un être humain au milieu de la forêt infinie. Mais, il y a aussi un autre thème, à découvrir à partir de la dialectique entre la forêt - ou D.H. se prépare à habiter, peut-être par « nécessité cyclique » - et le non-lieu, au-dessous d'une autoroute ou d'un périphérique, où traîne assez contrariée Anne-Charlotte Chéron. Très beau !
RépondreSupprimer@ le portraitinconscient.com : qui l'eût cru (Zoë) ?
SupprimerEt je confirme pour l'avoir expérimenté durant une dizaine de jours, il n'est pas facile de vivre sa vie façon Robinson Crusoé... J'étais quelque peu paniquée de ne pouvoir suivre les interactions ou lire les différents échanges de ces vases communicants. Des psychologues appellent ce phénomène FOMO (Fear Of Missing Out) ou la peur de passer à côté d'un évènement alors qu'on est déconnecté.
SupprimerLieu incertain, improbable où les ennemis même visibles sont inconnus, des sangliers peut-être pire encore des humanoïdes! Que la photo ne sert pas à retrouver, semblable à tout autre. Texte de l'improbable.
RépondreSupprimerZéo Zigzags
@ Anonyme : qui l'eût cru (Zéo) ?
RépondreSupprimerDeux cartouches seulement ? À réserver aux couche-tard.
RépondreSupprimerDominique - Et toi, Zéo, l'eusses-tu cru [chapeau pointu]? L'étoile dorée en haut à gauche dans mon cahier puisque j'ai défoncé une porte ouverte sans l'endommager. :) :) :)
RépondreSupprimerZéo
Quel royaume étrange, celui où le narrateur s'est glissé et dont il ne sortira probablement pas vivant, même si c'est un "décor"...
RépondreSupprimerJusqu'à présent, je m'en suis toujours sortie vivante mais qui sait en effet...
Supprimer@ gballand : qui sait ?
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