10/10/2012

FELIX BAUMGARTNER : PERDITION, FUITE EN AVANT ET SURPUISSANCE


En 2009, à l'occasion d'un voyage à Hong-Kong entre amis, nous avons choisi de nous adonner à une activité touristique extravagante lors d'un détour à Macao. 

Ici, haut lieu de débauche financière, dans ce Las Vegas à l'asiatique, on pratique également une économie du sensationnel : le plus haut saut à l'élastique au Monde. Quiconque a un jour émis le vœu de réaliser un tel saut, piqué dans son orgueil et sa curiosité, sera tenté par l’affaire.
Ce fut notre cas, le cas de trois gars, trois bons copains. Dans mon éternel désir de rivaliser les exploits de la gent masculine, je les avais accompagnés. M. attendait sur le côté. Chaque saut était fermement ritualisé. À cette hauteur il faut tout contrôler. Le poids du corps en premier lieu. Les vents pourraient être taquins. La vigilance était de mise et de rigueur. Je crois que nous étions en confiance. Une horde admirative, inquiète et pleine d'une exaltation compassionnelle, regardait les hommes fondre dans le vide. Nous avions quelques admirateurs.


Il est difficile de raviver cette sensation éprouvée à l’orée du saut, quand on pousse ses pieds
pour les rapprocher au dessus du vide, alors que les chevilles sont entraînées par le poids de l’élastique. Puis on s’arrêtent sur la petite passerelle, confondue dans le néant. On peut tout voir ici. L'horizon est dégagé. Un homme réalise alors un décompte : ten, night, height, seven, six. Là, on ne pense plus à rien, si ce n'est à cet avènement du pire, l'inéluctabilité du destin à venir. On ne pourra plus reculer - five, four, three, two, one. Je me laissait alors, avec une lenteur irrationnelle, tomber vers l’avant. On aurait pu croire que j'étais en apesanteur au moment de sauter. J'avais naïvement pensé que l'homme sur la jetée, accompagnerait mon bond du geste de sa main, me poussant très légèrement le dos. 

Là, juste avant de tomber, c'est l'effroi. Il faut affronter cet incompréhensible simulacre de mort. En bas, plus rien, sentiment blanc. Sensation trop violente, ne peut-être que vécue, pas remémorée, pas retranscrite. Je l’ai, par faiblesse et peut-être fainéantise, qualifiée de « sentiment de mort », ne sachant pas proprement ce que cette notion pouvait recouvrir.

« Plus haut saut à l’élastique » : 233 mètres, à peine, me séparait alors du sol.

Le parachutiste autrichien Felix Baumgartner, s’apprête quant à lui à se jeter en dehors d’un nacelle élevée à une altitude de 36 576 mètres. Vêtu d’une combinaison pressurisée, il réalisera un exploit fou, à bien des égards inutiles : il s’élancera dans les confins de l’atmosphère, surplombant le Nouveau-Mexique. Son parachute s’ouvrira à 1500 mètres d’altitude. Il devrait franchir le mur du son et aller aussi vite qu’une balle de pistolet.  Descente de 20 minutes, dont 5 minutes de chute libre. C’est inimaginable.
L’opération farfelue est à l’initiative de Red Bull.  Les risques sont encore inconnus car personne n’a jamais franchi le mur du son à l’extérieur d’un aéronef. Le bonhomme n’en est pas à son premier coup d’essai. Avant il s’était fait remarqué pour ses sauts du World Financial Center T101 à Taipei (Taiwan) et celui réalisé depuis la statue du Christ rédempteur à Rio de Janeiro.
Je repense au sentiment de mort. Quelles seront ses impressions lors de la montée du ballon et avant de sauter au dessus de l’univers ou dans l’univers. Arrivée là, je me perds.
Cherchera-t-il du regard un point au sol ? Quelle sera sa vision au point de non retour ? Peut-on se confronter davantage à la perspective de mort et d’infini ?
Perdition totale, fuite en avant et surpuissance, voilà les symptômes que j’anticipe. Dommage que Red Bull soit de la partie.
Cherchant plus d’information, je constate qu’une tête brûlée à déjà tenté le coup dans les années 60 : Joe Kittinger, sans Red Bull cette fois-ci, de fait.
Les images sont incroyables. Les voici : 



2 commentaires :

  1. Ce que vous appelez "sentiment de mort", je l'ai perçu comme une injection de jouvence, un violent regain de vie, en sautant en parachute... Merci pour votre texte, dont j'ai beaucoup aimé les mots "les hommes fondre dans le vide", et pour votre passage chez Christophe Grossi http://deboitements.net/spip.php?article417 et chez moi http://www.sabinehuynh.com/id63.html (vases communicants de juillet 2013).

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  2. Merci Sabine pour lecture et visite.
    C'est amusant ces sentiments opposés. En tout cas je crois pour la quasi unique fois de ma (courte) existence, ce sentiment là fut dénué d'intellect. De l'incontrôlable pur.

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