26/02/2009

MÊME PAS MAL

Je fais de drôles de cauchemars où il a pris l’habitude de s’inviter en tant que figurant ou second rôle. J’essaye de la chasser de ma vie à l’aide de vilains coups de talon d’Achille. Frapper là où j’imagine que cela fait mal. Enfoncer la lame dans des portes ouvertes, des accès trop évidents. Il est seul, je ne cesse de lui reprocher son égoïsme. Puisqu’il ne retiendra que peu de choses de moi, peut-être que les blessures que je tente de lui infliger sauront imprimer un souvenir en sa mémoire.
Il me revient toujours plein d’égratignures comme un petit garçon honteux qui rentrant de l’école décide de cacher du regard maternel ses genoux encombrés de sang coagulé et de gravier. Il tait les raisons de ses plaies ou ne les évoque que de façon sporadique et subreptice.
Un jour affolé de mon propre affolement, il m’avait rattrapé au pas de course dans la rue que j’avais empruntée tant de fois pour le rejoindre et le fuir. Les pans de murs latéraux qui abritaient ce sentier bitumé s’effondraient sur moi. Je regardais au loin mimant une sorte de marche militaire ridicule. Emportée par la colère et le ressentiment, je pouvais encore ordonner à mes jambes de se mouvoir avec une rigidité belliqueuse. Il avait décidé de rejoindre ce cortège solitaire. La pantomime auquel il s’adonnait à mes côtés contrastait bouffonnement avec la réification de mes muscles qui enserraient mes sentiments salis. Je devais conserver la cadence, rester sur la ligne imaginaire que je m’étais ordonnée de suivre. Il dérangeait cette prescription à l’aide d’empoignades, de reproches et de paroles en tout genre, veines, inutiles, gaspillées, écoulées trop vite au plus mauvais moment. La géométrie du décor était affectée par mon émotion comprimée, elle ressortait par les yeux et les brouillait. Les lignes se resserraient jusqu’à former un étau où il me semblait tout à coup ne plus pouvoir sortir.
Je tournais subitement à gauche pour rejoindre le métro. Il m’y accompagna comme un garçonnet encombrant qu’on traîne par la main. Il avait fini par m’avouer qu’il m’aimait pour me retenir, guettant un signe de satisfaction dans mon œil. Je n’ai rien ressenti. Même pas mal. J’ai pris le métro, davantage troublée par ma colère et les raisons qui avaient données naissance à ce sentiment, que par son aveu dont je suspectais l’honnêteté en vertu des circonstances de son émission.
C’est la dernière fois qu’il m’a dit qu’il m’aimait. Quelques semaines plus tard nous nous séparions. Il était alors incapable de me répéter ces trois mots idiots et sans saveurs. Il devait laisser son cœur réfléchir un peu. Le mien n’a que peu de neurones, je me suis donc raisonnablement échappée.

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