30/07/2013

AIMER COMME ON LIT - DON'T FORGET ABOUT LOVE


Là, c’était mi-juin, paraît-il l’été, avec le plus gros pull, faute d’oser claquer davantage d’EDF. Préparais des pâtes, traînais en pyjama amélioré d’un collant pour faire bonne figure auprès des amis qui venaient me confier les clés de leur appartement, avant d’aller donner naissance à leur fille à Berlin. M’offraient du basilic qui égaierait le plat principal et des madeleines endossées de chocolat pour faire sourire le café, mais n’avais déjà plus de café. D'ailleurs pas pu leur en proposer. Quand j’ai accompagné E. à l’aube - aéroport direction Cayenne - afin qu’il aille "s’enjungler" deux mois, il m’a semblé que je pourrai me contenter d’attendre son retour sans même procéder à une percée sociale diurne ou nocturne. Mais les embarras du ventre et le papier toilette obligent à rejoindre l’extérieur et puis il faut faire avec ce foutu goût immodéré pour la vie qui encombre et indispose parfois plus que n'aide. Tandis qu’on ne sait manier l’existence en général et pas uniquement la sienne en particulier, il faut prendre le pli du vertige.

Me raccroche bien souvent à l’amour, attendant tout de lui et de facto de l’autre, mais sans tenter de nourrir ce sentiment, le dispersant, l'étiolant, le polluant, faute de pouvoir l’investir. J’attends devant la vie que cette dernière m’épargne, bêtement, itérativement, amoureusement, comble une béance dont je ne connais pas l’origine.



« L’amour est une privation », dit Camille Laurens.

Me réfugie dans l’amour, m’en remets à la fiction, entreprends la lecture de L’amour, roman de Camille Laurens qui me paraît, dès la première trentaine de pages foutrement bon. Alors que je l’avais boudé, agacée par les querelles trop médiatisées de "plagiat psychique" qui l’opposaient à l’époque, soit un temps qui s’étale de 2003 à 2010, aux mari(e) - le sien d’abord, Darrieussecq ensuite-, son écriture me conquiert. Plaisir évident dont je m’étonne de n’avoir su jouir plus tôt. Moi qui aime tant Philippe Forest, j’aurais pu accidentellement croiser la route de cette Camille.




« L’amour est une privation » dit-elle. 

 

« L'a de l'amour, je l'ai toujours entendu comme un préfixe - ce que la grammaire appelle un préfixe privatif, et c'est bien vrai, l'amour est une privation, il y a quelque chose qui manque, une absence, une abolition, une abjuration, que sais-je ? Quelque chose qui n'est pas là, qu'on a perdu si on l'a jamais eu, l'a de l'amour nous sépare de l'amour, nous tient à distance, on ne peut pas approcher plus, on se heurte à un mur, au mur de l'amour, un mur aveugle comme seul l'amour peut l'être, on a beau toquer, dire toc toc, je suis là mon amour, ça n'ouvre pas, ça ne s'ouvre pas, ça s'entrebâille à peine, ça ne vous laisse pas entrer comme ça, pas comme chez vous, non, c'est une propriété privée, absolument, c'est privé, l'amour, c'est privé de tout. »
C’est privée de toi pour un été que je suis et cette absence met en exergue, oui, c’est vrai, le sentiment d’abandon habitué que j’éprouve à tes côtés. C’est "l’a de l’amour", peut-être, ce puits sans fond où l'on s’abandonne immodérément, oubliant nos obligations envers la vie et son quotidien, l’écriture parmi eux. 




« La lecture est bien la seule chose au monde qui rende heureux par ce qu'elle nous ôte - ce voile qui nous tombe des yeux, cet écran qui se volatilise entre le monde et nous -, alors que presque tout le Bonheur ordinaire de l'amour, au contraire, est fondé sur l'illusion, sur le désir forcené d'obtenir ce qu'on n'a pas comme si l'autre l'avait... » 
Il faudrait donc aimer comme on lit, sans attendre de l’autre plus qu’il ne devrait proprement donner. 

 

De l’amour, si mon été en est a priori absent,
il me semble en être comblée dans une tout autre mesure,
plus solitaire certes.
Les secours sont là. 
Des épaules à lire, faute de bras dans lesquels épancher les désirs ou chagrins. 



L’amour donc, Mathilde Roux y campe élégamment ses mots dans son premier ouvrage paru chez Publie.net, j'ai l'amour.

Qu’elle puisse avoir l’amour, je n’en aurais nullement douté, ni même que sa parole soit capable de tambouriner avec la douceur qui la caractérise - mais pas que - dans le mille des sentiments. C’est une lecture à l’écran dont on fait l’acquisition aisément en ce lieu. C’est beau et délicat comme toujours ici ou là. On peut se le lire, on peut le lire à son amant, son enfant, son ami, à voix haute, en murmure, en silence.

À ses côtés, tout est tendrement simple.

« J’ai l’amour, détendez-vous, ce n’est pas toujours compliqué »

En conséquence, on se détend.

« J’ai l’amour comme tentative de préhension instinctive de la réalité, j’ai l’amour praticable, paramètre, j’ai l’amour comme moyen de transport, comme un pays à visiter. 
J’ai l’amour pour y aller et j’irai loin. »

Aller loin, sans épuiser le sentiment, prendre son contour avec pour stratégie la ritournelle. Ce flux qui dit la possession de l’affect, mais pas celle de l’être adoré, flux qui exprime la capacité sans bornes à aimer.

« J’ai l’amour comme penchant, rassure-toi ce n’est pas la mer à boire, quoique, j’ai l’amour à volonté. »




Peut-on vraiment avoir l’amour à volonté ? Il me semble parfois que ma réserve est tarissable. Je réécoute, comme une évidence, les mélodies de Feist qui constituent la BO d’un ancien amour, même si je ne doute pas, sans regrets, que la source de cette romance puisse être définitivement asséchée. Écoute donc le gatekeeper qui disait et dit encore - les chansons ont comme les romans le pouvoir de vaincre la contingence des lois de la nature et du cœur -, la demi-année que nous avions traversée avec tant d’intensité. Ce morceau collait d’une manière absolue et curieuse à notre relation qui n’avait pu durer qu’un été et quelque, nous qui vivions si loin et portant si l’un de l’autre. Il avait un nom biblique, c’est amusant. J’ai été très flattée et heureuse d’avoir été son Eve et muse l’espace du cœur, en dépit des kilomètres et des années qui nous éloignaient inéluctablement, moi plus vieille pour une fois. 





« J’ai l’amour comme destinée, comme passe-temps, comme apogée. »



Moi aussi Mathilde et je crois qu’il n’y a que ça et la littérature qui m’intéressent vraiment. Fort heureusement, ces deux terrains sont conciliables et tu les maries à merveille. 


Plus tard, je découvre le site qui annonce la sortie du nouveau Lars, comme on dit dans le milieu. Une part peu à peu dévoilée de son film à venir et dans le même temps d’une conception de l’amour bien peu rassurante. Son titre Forget about love ne saurait déjà que trop promettre d’amertume. Préfère m’en remettre à Mathilde et Camille pour l’heure. N’ai pas l’âge de mettre mon cœur en berne.

Grand remerciement à Mathilde Roux et Louisa pour m'avoir autorisée à reprendre quelques mots et images afin "d'illustrer" leurs travaux respectifs et également à Courtney Eldridge, auteur de Saccades Project pour son aide précieuse.

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Special thanks to Mathilde Roux and Louisa who allowed me to publish a part of there work here and also to Courtney Eldridge, from Saccades Project for her precious help.



* L'Amour, roman, Camille Laurens, Gallimard ou POL (selon)



Photographies : Louisa

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