23/06/2013

CONTENU DE LA REQUÊTE : CHRISTIAN LUTZ EST PRIÉ DE FAIRE TAIRE L'IMAGE



Encore une affaire de censure où les mots viennent raconter l'image absente.

Ici Christian Lutz, photographe suisse qui poursuit son observation du genre humain et mène depuis 2007 une enquête photographique sur le pouvoir. 
Travail en trois volets (politique, économique et religieux) présenté actuellement au Musée de l'Elysée à Lausanne

Là, 21 plaintes de personnes apparaissant dans l'ouvrage In Jesus’ Namesoigneusement organisées par l'église évangélique ICF (International Christian Fellowshipbasée à Zurich

Christian Lutz entame en 2003 son enquête sur le pouvoir, sans savoir alors que celle-ci prendra plus tard la forme d'une trilogie. Il s'attaque d'abord à la sphère politique et publie un premier ouvrage Protokoll (2007) puis aborde le domaine économique avec sa série Tropical Gift (2010) et choisit  finalement d'achever cette triade photographique avec In Jesus' Name (2012), reportage au coeur du pouvoir religieux sur et avec l'ICF, une des églises libres les plus importantes de Suisse. 

Difficile de comprendre la décision de justice du tribunal de Zurich qui par mesure provisionnelle a exigé l'interdiction immédiate de diffusion de l'ouvrage In Jesus' Name, dix jours après sa parution et sous le motif d'infraction au droit à l'image invoquée par l'ICF. La justice a semble-t-il choisi de trancher en défaveur de la liberté d'expression et d'information.


Pourtant c'est avec un accord officiel que Christian Lutz s'est immergé pendant une année dans cette communauté religieuse. Il rencontre en mai 2011 Léo Bigger, pasteur du mouvement évangélique ICF. C'est ce dernier qui l'autorise à réaliser son projet, après en avoir pris connaissance ainsi que du contenu de ces deux précédents travaux photographiques. Il l'introduit alors dans la communauté et le présente aux différents responsables qui l'accueillent positivement. Le photographe demandera toutefois encore et systématiquement des autorisations aux organisateurs de chacune des activités de l'ICF à laquelle il souhaite participer. Il accompagnera divers voyages et camps de vacances organisés par l’église et assistera à toutes sortes d’événements : célébrations, baptêmes, ladies lounge, don du sang, show de théâtre, atelier sur la dépendance à la pornographie, etc. 



Mais voilà, une fois présentées, tirées et publiées, les photos ne conviennent pas. 
Le projet est rejeté et condamné avec l'aval de la justice.

C'est dans ces conditions que Christian Lutz a choisi de présenter aujourd'hui l'ensemble de sa trilogie,  soutenu par Sam Stourdzé, directeur du Musée de l’Elysée. Aussi il se résout à accepter la décision de justice mais ne s'y plie pas simplement, et pour présenter sa dernière série choisit de mettre en avant les conditions de sa production et de facto de sa censure. Les clichés ayant été interdits sont donc exposés aux côtés des images épargnées. 13 photos affublés de larges bandeaux noirs qui couvrent et protègent les visages des plaignants et sur lesquels ont été retranscrits le contenu de chaque requête juridique. 

Christian Lutz regrette d'avoir été dans l'obligation de mettre en oeuvre une opération de contournement de la censure qu'il juge trop intellectuelle. Mais les mots sont bien là et sont ceux reportés et formalisés par l'avocat des plaignants. Ils donnent à voir ce que le spectateur n'aurait peut-être pas même imaginé. 
On pense à l'arroseur arrosé et on s'interroge sur le bon fonctionnement du psychisme des plaideurs. Comment peuvent-ils imaginer de telles obscénités ? La formalisation de l'interdit devient alors source de questionnement plus que l'image elle-même. 

Voici un cas typique d'effet Streisand appliqué à la photographie. En choisissant de procéder à une censure, le censeur tend à augmenter la diffusion de l'information qu'il souhaitait en premier lieu juguler. Le mal étant ainsi fait, il devient dès lors difficile de mettre un terme à sa circulation.


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