19/04/2010

CAPILLAIRE





Un loup blanc un peu trop fier trône, le cul bien calé sur un paillasson, devant le salon.Le gardien laisse tout passer : Cerbère de pacotille.On peut, à regret, sans pénétrer dans la géhenne, tout voir derrière les larges bais vitrées :
sourire édentée de la « patronne », portrait d’un des frères Bogdanov planté au-dessus de la caisse invitant étrangement les badauds à venir se défaire de leur tignasse, série de mémères à chienchiens réparties inégalement dans l’espace, l’une qui fait coucou au toutou tout blafard qui l’attend dehors, cheveux blancs éparpillés sur le carrelage fissuré, petits tabourets tournoyant aléatoirement aux environs des âmes déchues, deux séductrices de bas-étages – probablement des collègues – espérant la levée prodigieuse des masses capillaires exaucée par le Saint Brushing, miroirs constellés de taches, en-dessous, le grand bar à cosmétiques où les tifs peuvent s’enivrer des fioles remplies d’huiles et diverses produits de soin, coiffeuse blonde délavée, un crâne presque dégarni tente un revival de séduction avec les gros seins à la cornette dorée, des tablettes colonisées par les épingles, pinces, chouchous et bigoudis, ciseaux rouillés en vadrouille, plus loin dans le ventre de la bête, entre ses intestins, des grosses brosses en nylon livrent bataille à une calotte ecclésiastique qui habille la caboche d’un protagoniste pourtant mécréant, une petite machine incandescente stérilise à coup d’UV les outils de tonte et découpage, mariée enchignonnée et ses tortillons intestinaux figés au-dessus du front, un vieil homosexuel - circoncis par souci d’hygiène – manie le peigne en céramique aussi habilement que le chef d’orchestre agite sa baguette, la misère sublimée par une série de spots suspendus au plafonnier, les étincelles de laque sur la mèche d’un quadragénaire ringard.


Le transit est encombré. Le regard ne sait plus où s’arrêter.

Il est pris aux piège de cette épaisse bedasse velue et adipeuse.

Il est entraîné dans les boyaux.

L’esprit affolé s’agite sous les orbites.
Le temps passe trop vite, avec lui l’impossibilité de reculer.


On a très nonchalamment jeté ici quelques serviettes immaculées, les tripes cotonneuses reposent dans des énormes paniers en osier, à côté l’alignement de bacs à shampoing où reposent les têtes comme celles de veaux attendant la décapitation, soupe de cheveu-de-Vénus dans les éviers, encombrements duveteux et colites néphrétiques dans les siphons, bouteilles sans bouchon, des ragots s’échappent des journaux people étalés sur un guéridon en plastique, certains sont broyés dans les bouches de deux ignobles mégères qui n’ont plus que la critique pour subsister tant leur existence est dévastée, casque d’aluminium surplombant le corps d’une grosse bonne femme en mal de coloration, cela doit cesser !, le regard s’accroche à celui du frère Bogdanov et remonte la panse, croise un ballet de sèche-cheveux, fers à lisser, boucler, frisotter, tresser, butte dans les pieds de l’homme pressé à qui l’on balaye le cou avec un gros pinceau.

Photographies : Rebecca Rijsdijk

3 commentaires :

  1. Oh pétard ! ça me donnerait presqu'envie d'aller chez le coiffeur pour retrouver les images sous tes mots !

    En parlant d'images, les illustrations sont également superbes.

    Bravo!

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  2. C'est l'effet des gros seins à la cornette dorée, ça probablement !

    Les images sont de Rebecca Rijsdijk
    Pour en voir plus, suivre le lien :
    http://www.rebeccarijsdijk.com/

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