10/06/2009

L'APPARTEMENT




Réveil dans le lit d’un autre, dans un appartement que je ne connais pas. Je l’avais accompagné chez lui à St-Germain, quartier que j’exècre. Aucune envie de m’y balader et de l’explorer mais une certaine curiosité et le désir de localiser cette merveille boisée et trop savamment décorée. Je me suis penchée par la fenêtre, ai appuyé mes seins sur la balustrade, joué avec le vis-à-vis comme une actrice prépubère gauche et allumeuse. J’ai immédiatement identifié la galerie Berthet-Aittouarès au 29, me suis laissée déstabiliser par la caricature d’un italien qui passait sur un vélo faussement usagé, les mains ballantes traînant nonchalamment le long du corps. Ce détournement a immédiatement ameuté la ville et son bruit, les passants, camions de poubelles, le marché plus loin, les cloches. Le chahut tentait de se taper la douce léthargie qui me berçait. Au 31, l’appartement où Georges Sand avait élu résidence. Si ce contexte était fictif, nous aurions probablement analysé la portée symbolique de la nature du 29 et du 31. La véracité des propos importe peu, le jeu du hasard m’intéresse encore moins, mais si celui-ci commence à se jouer de moi je ne répondrais plus de rien. J’ai farfouillé à droite/ à gauche pour retrouver la lingerie fine que j’avais égarée, me suis promenée dans l’appartement dans cette tenue pour m’habituer au nouvel espace, avec pour secrète ambition de le faire mien. J’ai retrouvé mes talons habilement disposés dans le salon, dans une position que j’ai aussitôt jugé indécente, voire inadmissible. L’une se reposait sur l’autre, la coquine paraissait attendre lascivement d’être chaussée. Je me suis servie un thé trop chaud, trop fort ; le goût, la qualité et les sensations importaient peu, il s’agissait d’adopter les positions naturelles de l’habitant. Les codes culturels étaient trop apparents pour être pleinement sincères : large affiche disposée de façon appropriée, bibliothèques peuplées de beaux-livre et classiques littéraires… Aucun signe apparent de débordement si ce n’est mon corps affalé dans le canapé. On a récemment dit de moi que j’étais en très grande partie responsable de la quantité d’entropie créée dans ce monde. C’est avec une jouissance démesurée que j’ai alors appréhendé la justesse, la perspicacité et la qualité scientifique de cette remarque. J’ai investi un large tee-shirt coincé dans le canapé, ai enfilé mon casque Sony, équipement musical de base, quatrièmes oreilles depuis déjà trop longtemps, suffisamment pour avoir endommagé, comme il convient, mon audition.
Ordre d’écoute, sélection aléatoire établie de façon autoritaire par la technologie Nano :

Take sword pt.1 The RZA
Ballade de Melody Nelson Gainsbourg
Hearth of Gold Neil Young
Chris’ Number, The Yardbirds
The police walked in for jazz, London Calling = track d’exception extrait de "The Vanilla Stapes"

J’ai dansé en écoutant ce dernier morceau - enfin en l’écrivant j’ai pensé que c’était quelque chose qu’il était nécessaire de proprement réaliser - alors je me suis levée sur la pointe des pieds et ai commencé à exécuter une chorégraphie post soixante-huitarde en essayant de ne pas toucher les rainures du parquet. Je n’avais jamais réussi à me défaire de ce toc hérité de l’enfance, quand nous jonglions entre les zébras, dalles, carreaux et divers impacts de chewingums blancs incrustés dans le bitume noire. Lorsque la musique s’est arrêtée, j’ai éprouvé un sentiment diffus d’ennui. L’appartement manquait d’attrait sans l’œil de son propriétaire sur moi. Il devait rentrer plus tard et m’avait proposé de l’attendre si je le désirais. Je ne le désirais pas mais j’avais pour ambition de réinvestir son logis, d’y écrire quelques mots et de lui voler définitivement cet espace qui me revenait de droit. J’ai donc rédigé une note pour qu’il ait mon numéro de téléphone.

L’appartement et moi avons passé un très bon moment ensemble. Je serais ravie de pouvoir m’entretenir avec lui une nouvelle fois.
Appelle-moi si tu n’y vois pas d’inconvénients.
Anne-Charlotte
06 69 11 11 75

Photographie : Françoise Huguier

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